Oeuvre

Je suis parfois artiste. Je produis des dessins que mes proches acceptent de bon gré, par politesse ou intérêt, le sourire aux lèvres, la pensée camouflée.

Cela importe peu. Parmi tous les bouts de papier fins et griffonnés, certains me survivront par mes enfants le jour du tamis des souvenirs, des cailloux de petits poussins. Dans mon univers sans temps, où les choses existent entièrement à chaque instant, où passé et futur ne sont qu’un présent mystérieux, où par l’imagination il est possible de parcourir leur histoire, la molette au doigt ; je sais, quand je l’ai terminée, si la forme incarnée aura un destin. Pas d’harmonie, pas de symétrie, pas de beauté, pas de sublime ou d’apogée, juste le souffle d’une histoire plus loin, d’une existence persistante. Je sais qu’elle finira sur un mur de l’autre côté, là où je ne suis plus, là où j’aurais voulu être encore, le prolongement aveugle et sourd d’une intention présente. « C’est ton grand-père qui l’a fait ». Ils penseront à moi là où je pense à eux. Ils m’imagineront, d’ici je les vois déjà. Ils riront d’une encre passée, et je m’amuse maintenant de les écouter.

Je ne dessine pas, je suis mauvais à cela ; je crée des ondes complètes dans leur espace et dans leur temps. Je m’étends en trames, je m’étire et me prolonge, je me projette en fraction d’âme. Réussie, l’œuvre qui existe me rejette, seule et suffisante, voilà déjà que ma sueur sèche.

Mais parfois, par une goutte ici, une courbe là-bas, grattement de plume sur regard écarquillé, faire-part de naissance d’un souvenir incarné, celui-ci dira un peu de moi.

Je pense : Etre plus loin, faire un morceau de présent qui s’étale dans le temps, désir d’éternité.