Marcheur

J’ai dans la tête une minuscule gouttelette, petite sphère d’un millimètre. Elle est fine, pure et transparente.  Elle est comme suspendue au dessus de sa mère, son océan, et en dessous d’elle les cercles de son onde, c’est cette image figée de la goutte, seule et immobile dans l’air et dans le temps.

Mais elle ne tombe pas, elle flotte, et le temps n’est pas au passé, il s’écoule en toute liberté. Elle est un « marcheur », nom de la science pour son étrangeté, elle est onde et particule grâce à Faraday. Elle est dans sa petitesse l’unique monstre qui fait l’écho de ce qui est invisible ici bas, près des quanta : la masse et la courbe, les deux à la fois.

Espiègle gouttelette qui rebondit en corpuscule et s’échappe en biais aux portes entrouvertes.
Fière gouttelette qui s’en fiche qu’on la regarde ou non, pour Monsieur Tesla à coup sûr du sublime, car sa danse est un mime et son chant le singe d’un photon.

Bol tibétain

J’ai retrouvé mon bol tibétain. Il était là, tout de métal doré, martelé, posé en décoration avec son maillet, sur le bord de notre commode de salon. Je ne l’avais pas perdu, c’est juste que je ne le voyais plus.

A voir le monde en rosaces, petites ou grandes, simples ou délurées ; à chercher les ondes dans tous les sens, d’en haut d’en bas de coté ou profilées; j’ai appris que ce bol et son maillet ne servaient pas le déjeuner : ils se frappent ou ils se frottent, d’un glas de pâmoison à une lente note en frisson.

Chaque bol a sa note, normalement celle d’un chakra, fleur d’un lotus d’une foi que je ne connais pas. Ca vibre, ça chante, suivant que l’on est assez adroit ; on sent les troupeaux d’ondes qui galopent devant le maillet dans sa course de tourne-en-rond. S’il les rattrape, la note s’étouffe, se vrille et dérape. Le jeu est de ne pas les dépasser pour tenir la vibration et enfin méditer.

Mais ce n’est pas par le karma que j’ai retrouvé mon bol, c’est par l’eau. On peut le remplir d’eau !
De l’eau non pour la boire, mais pour la voir… danser, vibrer, frémir, et des gouttelettes applaudir au passage du maillet.  Le bol est un colisée et les ondes cravachées le spectacle attendu de joies partagées. A son paroxysme synchronisé, le dernier virage des ondes exaltées, d’innombrables vagues de olas parcourent l’eau en délires concentriques, des micro gouttelettes s’échappent et rebondissent comme les chapeaux jetés au ciel d’une foule hystérique.

Jolies rosaces au fond de mon bol, l’eau chante une forme fugace dans le creux de ma main.

Je pense : Qu’en est-il de ma paume qui tient le bol ? Est-elle une oreille au dos de la coupole ?

Possible

Un mois que je traîne mes guêtres au pays des quantas, 30 jours à porter les lunettes de Monsieur Tesla. Je vois des ondes partout, des masses souvent, de l’information presque en tout, de l’énergie certains temps.

Je comprends ou devine que dans l’hésitation native des photons cachés à l’ombre des consciences se fonde la liberté des choses possibles. C’est possible, cela peut exister, à plusieurs en canon nous dirons « peut-être », c’est le chant des électrons.

Grimpant du petit vers le grand, je me m’étais trompé.
Ma volonté n’est plus un ordre sur le chaos, pas même une prière à l’univers, mais l’énergie de cultiver le champ qui me plait, sans barrières et grand ouvert, là où je suis bien dans mes sabots.
Les événements ne sont plus des accidents, des malédictions, des chances ou des coïncidences, mais des animaux heureux de trouver un pré pour exister, un arbre pour se reposer, un bassin d’eau pour s’amuser, quitte à parfois tout saccager. (La plaque vibre, l’eau frémit.)

De ma fenêtre je les regarde passer, grandir, partir ou mourir. D’où viennent tous ces moucherons ce matin qui vrillent en grappe au-dessus de ce coin ? Faudra-t-il qu’ils partent ? Faudra-t-il qu’à la nuit je refasse ? Dois-je m’occuper d’eux ou de ce foin ?

Je ne cherche plus l’eau lointaine, à creuser la roche ou endiguer la plaine, à la rendre certaine ordonnant qu’elle s’accroche. A la place je fredonne la pluie, une paume vers le ciel, je fais un joli creux, un puits, un seau, un bout de ficelle ; danser le rond d’un sentier pour qu’elle y ruisselle, rendre possible un peu d’eau là où elle aime parcourir les cieux, s’il me chante j’y ajouterai un Dieu.

Je pense : Si tout n’est qu’onde, si tout n’est que note…

Vision

Qu’il est difficile de changer de lunettes. C’est un terrible effort que tenir le deuil et l’enthousiasme. Je regarde cette vieille femme dans la queue du bureau de tabac, devant moi. Je change. Je ne la vois plus comme une personne, mais comme une somme ; ce n’est plus individu, mais une histoire entièrement présente depuis ces débuts, là, à trois pas. Je peux sentir la masse lourde des événements qui la composent, ses premiers cris, ses premiers pas, ses peines et ses joies, jusqu’à hier, jusqu’à maintenant.

Elle avance, et moi aussi. Le monde a changé et doit s’actualiser. Pendant une seconde je n’ai plus été. Je reprends.

Je sens le ruban entier de son existence comme une unité de son être. Pas de formes, pas de sons, pas de couleurs, juste une présence, une certitude d’existence. Je ne lis pas une page, je touche un livre ; je ne parcours pas l’histoire, je contemple une frise.  Ce que je vois c’est son ADN après tout ce temps, ce que je perçois ce sont les échos de sa symphonie unique à maintenant. Je ne suis pas voyant, point de magie, pas de sorcellerie,  je ne fais qu’attribuer une qualité d’être à l’invisible que j’ai vu en moi. Kant l’avait dit, je crois : Il faut que nous ayons en nous l’espace et le temps pour pouvoir les percevoir en toutes choses. Mais dans le monde de Tesla, l’existence est une onde et les individus un champ.

Je pense : C’est un peu comme à une sépulture, quand on saisit d’une pensée fugace l’ensemble de cette vie qui n’est plus. Sauf que là, elle continue.

Paradigme

Avez-vous déjà vu ces films où vers la fin, un simple élément, une petite donnée, un sourire, une larme, un sourcil levé, tout prend un autre sens ? Le gentil est un méchant, le méchant un indolent. Toute l’histoire se renverse, tout ce que l’on avait cru s’efface et se remplace, comme un puzzle joli, mais incomplet qui, refait, deviendrait parfait. Je m’étonne toujours de cette bascule, de ce déclic, de sa rapidité et de sa force. Je croyais, et voilà que je sais.

Oui, mais.

Ce  est  parce que maintenant je sais, que je comprends que je croyais. J’aime cet instant où ma bêtise s’efface, je déteste le temps suivant de mon imagination perdue. J’espère que bientôt je saurai de nouveau, et craint ce jour dernier de la vérité pure et étalée.